Espace pluriel : santé mentale et participation publique – Présentation
Présentation
par Michèle Clément et Yves Lecomte
En septembre 1961 paraît un volume qui débute avec un avertissement de l’éditeur : « Jean-Charles Pagé ne manifeste aucune haine à l’endroit de ses anciens geôliers… Son but : décrire simplement ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, en admettant que d’autres malades mentaux ont souffert plus que lui et pourraient donner un témoignage plus incroyable encore et qui illustrerait peut-être plus fidèlement le scandale intolérable de nos prétendus hôpitaux psychiatriques » (Pagé, 1961, p. 7). Et l’éditeur de poursuivre : « Jean-Charles Pagé est guéri. l aurait pu se taire pour qu’on oublie au plus vite qu’il sort à peine de l’asile de fous. Il a préféré devenir le porte-parole des “hommes sans voix ”, il crie « au secours » au nom de ces milliers d’abandonnés, ses frères les fous, nos frères les fous » (Pagé, 1961, p. 8).
Ce volume, qui a sonné le glas de l’époque asilaire, se nomme Les fous crient au secours. Vendu dès sa sortie à plus 40 000 exemplaires, il a été écrit par Jean-Charles Pagé et postfacé par le psychiatre Camille Laurin, alors directeur du département de psychiatrie de l’Université de Montréal. Au cri de Jean-Charles Pagé, ce dernier répond qu’il est essentiel et possible de transformer les milieux asilaires. Évidemment, cette association inusitée entre un « ex-patient asilaire » et un psychiatre progressiste eut pour effet de susciter une mobilisation sans précédent (Boudreau, 1984 ; Wallot, 1998), à laquelle le gouvernement de l’époque réagit en créant la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques (Bédard et al., 1962). Une réforme en profondeur du système asilaire découla de cette Commission, lui permettant d’évoluer vers un système de soins inspiré par l’idéologie et les approches de la psychiatrie.
Une fois le choc de ce premier grand cri dissipé, on peut se demander ce qu’il est advenu de la voix des « ex-malades mentaux », comme on les appelait à l’époque. S’est-elle tue ou a-t-elle continué à se faire entendre ? A-t-elle réussi à faire valoir ses doléances, éventuellement ses revendications ? A-t-elle acquis une autorité auprès des gestionnaires et des responsables cliniques ? A-t-elle encore un impact ? Et si oui, lequel ?
Pour répondre à ces questions, des chercheurs québécois ont posé le curseur de leurs activités sur le thème plus spécifique de la participation publique en santé mentale, et ont uni leurs voix pour susciter un débat collectif sur cette question. Ils proposent dans le présent ouvrage une lecture de leurs travaux réalisés durant les cinq dernières années, mais enrichis par les échanges qu’a nécessités cette publication. L’ouvrage, ils en sont convaincus, permet aux lecteurs de mesurer le chemin parcouru par les personnes utilisatrices de services ainsi que par les intervenants dans la voie de la participation en santé mentale.
L’ouvrage s’organise autour de sept chapitres, traitant tous de la participation publique des personnes utilisatrices de services de santé mentale mettant toutefois l’accent sur l’une ou l’autre des dimensions qui traversent cette question.
Un premier chapitre intitulé « Quelques repères à propos de la participation publique dans le champ de la santé mentale » introduit le lecteur aux principaux concepts qui évoluent tout au long de cet ouvrage et campe la question de la participation publique dans le champ spécifique de la santé mentale.
Le second chapitre intitulé « Les cinq temps de la parole » porte un regard sur l’évolution du statut de la parole des personnes utilisatrices de services de santé mentale à travers le temps, tout en cherchant à répondre à la question suivante : comment en sommes-nous venus à « convoquer » et à donner une crédibilité à cette parole, alors que la folie était il n’y a pas si longtemps synonyme de trouble, de déraison et d’irresponsabilité ?
Une partie de la réponse à cette question nous est donnée au troisième chapitre. Un peu à la manière du généalogiste, les documents ministériels et gouvernementaux des vingt-cinq dernières années – période à l’intérieur de laquelle s’affirmera et se précisera la volonté ministérielle d’impliquer les personnes utilisatrices de services dans la gouvernance des services de santé mentale – sont finement décrits et analysés en vue de relever comment la pensée autour de la participation publique s’est transformée et a évolué.
Le quatrième chapitre, plus factuel, rend compte de la manière dont les personnes utilisatrices se sont organisées pour répondre aux exercices de gouvernance des services de santé mentale depuis la publication du dernier Plan d’action en santé mentale : la force des liens 2005-2010 (PASM) (MSSS, 2005). Le PASM a en effet corroboré la volonté ministérielle d’impliquer les personnes utilisatrices dans la gestion des services de santé, qui s’était affirmée et précisée au fil des vingt-cinq dernières années. On y traite de plusieurs questions : Quelles représentations les personnes utilisatrices ont-elles du rôle qu’elles doivent jouer dans les lieux de participation ? Qui participe et où participent-elles ? Au nom de qui prennent-elles la parole et pour dire quoi ? Quel soutien reçoivent-elles ? Considèrent-elles que leur contribution est reconnue et, enfin, quels sont les facteurs qui influencent positivement ou négativement leur participation ?
Le cinquième chapitre s’intéresse à l’enjeu de la parole collective des personnes utilisatrices de services. En analysant l’expérience plus spécifique des Rencontres régionales implantées dans huit régions du Québec par l’Association des groupes d’intervention et de défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), ce chapitre examine les efforts consentis pour construire cette parole, mais aussi les écueils qui en découlent.
Le sixième chapitre nous situe pour sa part dans un tout autre registre, en dégageant la manière dont la participation publique s’inscrit dans le parcours de vie des individus, ici les représentants des personnes utilisatrices de services. On y traite de la perception que ces derniers ont de leur rôle, de l’appréciation qu’ils ont de cette expérience et, enfin, de la contribution que cette dernière a sur leur émancipation personnelle.
Le dernier chapitre, soit le chapitre 7, se présente comme une ouverture sociologique sur la question de la participation publique, interrogeant les enjeux démocratiques qu’elle pose à la société québécoise. Se dessine alors un commentaire critique sur l’exercice de la participation publique des personnes utilisatrices de services suite à l’implantation, en 2005, du PASM. La réflexion porte plus spécifiquement sur l’apport de la participation au renouvellement démocratique de l’action gouvernementale en matière de planification et d’organisation des services sociaux et de santé.
Michèle Clément
Yves Lecomte
Bibliographie
Bédard, D., Lazure, D. et C. A. Roberts (1962). Rapport de la Commission d’étude sur les hôpitaux psychiatriques (rapport Bédard). Québec : Gouvernement du Québec.
Boudreau, F. (1984). De l’asile à la santé mentale. Montréal : Éditions Saint-Martin.
MSSS. (2005). Plan d’action en santé mentale. La force des liens. 2005-2010 (2-550- 44549-X et 2-550-44367-5). Québec : Gouvernement du Québec. http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2005/05-914-01.pdf.
Pagé, J.-C. (1961). Les fous crient au secours. Montréal : les Éditions du Jour.
Wallot, H. (1998). La danse autour du fou. Survol de l’histoire organisationnelle de la prise en charge de la folie au Québec depuis les origines jusqu’à nos jours. Beauport : Publications MNH.