Construire des communautés d’apprentissage – Introduction aux Actes

Construire des communautés d’apprentissage – Introduction aux Actes

Jean Gagné

Voici sur votre écran ou entre vos mains, les Actes du 4e colloque bisannuel des étudiants et du personnel académique des trois composantes universitaires responsables1 du programme interuniversitaire de second cycle Sens et Projet de vie. Cette rencontre marquait, en mai 2014, la diplomation d’une 10e cohorte étudiante. Rappelons que ce programme accompagne ses étudiants et ses étudiantes dans une démarche réflexive pour penser et donner du sens à une transition de vie telle que celle qui survient à l’approche du temps de la retraite. Au fil des années nous avons pu constater que plusieurs diplômés continuent hors de l’institution à se rencontrer, et à s’accompagner mutuellement. Ils préservent et cultivent ainsi, mais de manière autonome, une pratique qu’ils ont développée pendant leur scolarité. Au colloque précédent tenu à Trois-Rivières (UQTR, 2012), « Se raconter dans une culture en perte d’identité », des étudiants ont lancé un appel au soutien de ces regroupements informels par les instances du Programme. Cette demande a inspiré l’intitulé de cette 4e rencontre : « Construire des communautés d’apprentissage ». Le comité organisateur du colloque a pris acte de cette proposition, interprétée à la fois comme un désir d’autonomie et un acte de maturité : assumer une distanciation par rapport à l’institution et participer collectivement à la vie de la cité. Il a été décidé d’en explorer les conditions théoriques et pratiques de réalisation en réfléchissant sur la définition des communautés d’apprentissage, leur contexte d’émergence à notre époque et les enjeux et modalités de leur mise en oeuvre.

Les présents Actes ne peuvent rendre compte de toute la richesse des discussions informelles tenues pendant ce colloque, que ce soit en plénière, en petits ateliers ou en aparté pendant les repas pris en commun et au cours des pauses. Espérons que ce manque soit un incitatif aux lecteurs qui n’y étaient pas à se joindre aux prochains colloques du Programme. En attendant, vous trouverez dans les présents Actes la reproduction de tous les textes des conférences livrées de vive voix au 4e colloque. En plus, nous vous y présentons les textes qu’ont rédigés gracieusement à partir de leurs notes et à notre demande les deux étudiants et l’étudiante membres de la Table ronde tenue sur leur expérience au Programme. Cette lecture sera pour tous l’occasion d’approfondir sinon de découvrir un champ de recherche et de connaissances tout à fait novateur.

Avant d’y venir, voici d’abord un bref survol des grandes caractéristiques du programme Sens et Projet de vie. Celui-ci se fonde sur une approche biographique. C’est-à-dire qu’il propose à ses étudiants un parcours qui consiste d’abord à faire un retour sur leur histoire personnelle et sociale. Ce travail d’introspection à travers leur passé et à la recherche de leurs expériences de vie est mené en conjonction avec l’étude de textes philosophiques, sociologiques et psychologiques. La distanciation apportée par ce versant plus théorique du Programme ainsi que par le travail mené en séminaire vise le développement d’une perspective réflexive, autocritique. Chacun, se prenant comme sujet de sa propre étude, est à l’affût du sens donné à sa propre vie : la signification de celle-ci, sa direction et sa matérialité. Cette recherche orientée sur soi doit inéluctablement aborder la dimension sociale importante du soi comme acteur dans le monde. Pour ce faire, chacun est en outre associé à une cohorte stable tout au long du Programme. Grâce à cette modalité tous seront les témoins non seulement du récit et du déploiement de l’unicité de chacun de ses pairs mais aussi de la formation de leur intégration sociale. Par la mise en commun de l’exploration et de l’analyse des dimensions sociales et personnelles qui constituent l’identité de chacun, s’ouvre la porte à l’analyse des valeurs, des acquis de connaissances et des habiletés qui ont pu être à la source des positionnements individuels et parfois communs relativement à la tenue des rôles sociaux de citoyens, de professionnels, de parents ou de proches. Ainsi le mouvement autobiographique qui va vers l’intérieur de la personne et permet une reconsidération de son histoire devient simultanément, par son partage en groupe, une projection de soi dans le monde commun. On y découvre un environnement social dans lequel tous baignent et qui est inévitablement un facteur des représentations communes et des orientations courantes à l’action. D’où le thème de l’événement, la communauté d’apprentissage, qui fait le pont de manière pratique entre l’expérience académique et sa poursuite sous la forme d’un engagement collectif.

Construire ces communautés d’apprentissage peut ainsi être entendu à la fois comme un résultat du Programme et comme une question existentielle posée à ses acteurs, professeurs autant qu’étudiants. Le terme de communauté est, en sociologie classique, associé aux groupes formés par le sang ou par des traditions communes, tels la famille et la parenté, le clan ou l’ethnie. Aujourd’hui on l’associe aussi à des groupes qui se forment à partir d’affinités. Ce peut être le fait de personnes qui se reconnaissent des intérêts communs parce qu’ils vivent sur un même territoire, pratiquent une religion ou d’autres activités significatives qui les rassemblent, ont une histoire en partage ou ont connu des souffrances semblables, etc. La communauté n’est donc pas un regroupement fortuit comme l’est une foule. C’est au contraire un regroupement durable comme l’est la société mais sans qu’on s’y assimile complètement ni toujours à long terme. Suivant la formule canonique de Rousseau, la société est fondée sur un contrat avec des règles et des délimitations formalisées par ses membres, alors que la communauté se présente à elle-même comme un groupe de facto. Ses contours sont flous avec un fonctionnement fondé sur des manières d’être et de faire qui sont intériorisées par ses membres comme si elles allaient de soi ou étaient naturelles. Cela étant, de quel côté se situeraient ces regroupements qui, issus de l’université, prolongent maintenant leurs existences à ses pourtours ? Ce sont des groupes transfuges qui migrent de la sphère sociétale vers celle de la sociabilité. Est-ce que ce déplacement de l’institution à la proto-institution peut être vu comme une régression frileuse ? Est-ce plutôt un recul de ses membres qui prendraient ainsi un élan pour sauter plus en avant ? Ce serait alors une stratégie pour réinventer ou pour régénérer la société. Ou au contraire est-ce un moyen d’y échapper pour se transformer soi-même hors des contraintes institutionnelles ? S’agit-il, plus trivialement, de prolonger le plaisir de la convivialité qu’ils ont expérimentée à l’université ? Tous ces désirs sont légitimes et conciliables. Il importe néanmoins de se réapproprier consciemment ce déplacement plutôt que d’y être poussé sourdement, par inertie ou par des contraintes extérieures que l’on négligerait de reconnaître. De là l’intérêt de penser collectivement ce mode d’appropriation d’un cursus universitaire par ses diplômés.

Afin de documenter cette discussion, les questions posées aux conférenciers et conférencières et conséquemment au public de ce colloque étaient : « faire communauté : repli ou ouverture au social ? », « accompagnement et apprenant, qui fait quoi ? » et qu’en est-il du « sens et [du] projet de vie comme conduite dans la cité hypermoderne ». Pour répondre à cette première question, Isabelle Orellana, professeure au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), s’est inspirée d’exemples tirés de ses études de terrain. Pour elle, la formation de communautés d’apprentissage est résolument orientée vers la réappropriation et la mise sous le sens du social par ses membres. Elle indique que la genèse de ce que l’on nomme aujourd’hui des communautés d’apprentissage appartient à la tradition de l’éducation populaire avec ses préoccupations démocratiques d’engagement, de participation directe des personnes concernées par les règles communes et le développement social. Ces valeurs se traduisent par une pédagogie qui veut appuyer les apprentissages sur des exercices pratiques menés par les apprenants dans leur milieu et en mettant à contribution leurs savoirs d’usage. Du coup, ceux-ci développent une meilleure connaissance d’eux-mêmes, reconnaissent leur potentiel et agissent directement sur leur environnement physique et social. La communauté d’apprentissage est donc à la fois une modalité pédagogique et une méthode d’action sociale par laquelle les membres se transforment tout en modifiant leur milieu.

Bernard Rivière, lui aussi de l’UQÀM, est professeur associé au Département d’éducation et de pédagogie. Il est de plus un diplômé du Programme. Son intervention fut ainsi celle d’un chercheur qui a dirigé une recherche évaluative sur l’objet de son discours et à la fois celle d’un observateur participant et enfin aussi celle d’un témoin subjectif. Malgré qu’ils aient une appréciation globalement positive du Programme, Rivière rapporte quelques critiques émises par des étudiants et étudiantes. Sa constitution tripartite qui théoriquement devrait être source d’ouverture, de variété et de complémentarité pédagogiques est apparue à certains plutôt comme un facteur de discontinuité et à d’autres, de redondances. Ils ont aussi soulevé la tension que suscite la volonté de préserver toute la rigueur de l’évaluation suivant une perspective académique traditionnelle alors qu’il s’agit d’un projet inusité centré sur la recherche de sens. Le succès de ce processus ne saurait être mesuré comme s’il s’agissait de jauger la maîtrise d’une théorie élaborée par un tiers. Une autre remarque tirée de la recherche concerne la tension, inhérente au Programme,

entre ce que nous pourrions appeler le travail sur soi et tout ce qui concerne l’intrication de ce « soi » dans l’univers social. La préoccupation et la recherche sur ce second aspect tendrait à s’affadir au fil des cours, du moins c’est ce qui semble ressortir des travaux produits par les étudiants et les étudiantes. L’auteur faisant écho à cette dernière observation conclut par une belle formule qui est en même temps un rappel du paradigme psychosocial du Programme : « Il y a des lieux où on ne peut aller seul, même pour aller vers soi. »

À la suite de ces deux textes, nous donnons à lire celui de Serge Cantin, professeur de philosophie à l’UQTR où il est responsable du programme Sens et Projet de vie. Son intervention n’est pas à proprement parler une conférence mais plutôt un discours d’introduction à la seconde thématique du colloque : Accompagnement et apprenant, qui fait quoi ? Ce bref texte fait le pont entre les deux journées du colloque et prépare adéquatement à la lecture des conférences qui suivent, celles de Maela Paul et de Marie-Chantal Doucet. Elles traitent de deux thèmes clés du colloque : pour la première, il s’agit de l’accompagnement en tant que position des professeures ou des chargées d’encadrement du Programme puis, pour la seconde, de la question du sens et de l’individualité posée ici et maintenant, à notre époque et au Québec. Ce sens ne nous est plus donné à l’avance par les institutions qui semblent de plus en plus se réduire à une fonction instrumentale de prescription de la performance et de la rentabilité de l’agir des individus, nous dit en substance Serge Cantin. Cette nouvelle normativité n’est pas pourvoyeuse de sens à la vie. Produire, performer, enrichir ou s’enrichir, certes, mais pourquoi et pour qui ? Le philosophe nous propose de repenser la question du sens dans le dialogue, c’est-à-dire comme la production d’une réciprocité entre soi et autrui. On retrouve évidemment ce rapport à l’autre aussi dans l’enseignement mais ce qui spécifierait l’accompagnement, ce serait d’abord sa souplesse, où chacun peut apprendre de l’autre et lui enseigner à la fois. Ensuite il faut aussi considérer le sujet du programme, la quête de sens dont l’application proposée est la planification et la réalisation d’un projet de vie. Il est clair que le tout ne peut être contenu dans les limites du cadre et du temps de quelques cours.

La conférencière Maela Paul est chargée d’enseignement aux universités de Nantes, Angers et Tours, auteure et formatrice de praticiens en accompagnement. Sa communication est une réflexion sur la pédagogie qu’adopte le Programme mais aussi sur les pratiques autonomes qui en découlent, et qui pourraient être assimilées à des communautés d’apprentissage. Elle esquisse d’abord l’histoire de la professionnalisation de l’accompagnement pour ensuite l’aborder en tant que pratique contextuelle. Elle en présente les caractéristiques et les enjeux. Ainsi on apprend que l’accompagnement, bien que pratiqué au quotidien et depuis les temps les plus anciens, n’a commencé à se présenter comme une pratique professionnelle que depuis le début des années 1990. Elle est depuis désignée sous différents vocables comme le mentorat, le coaching ou le parrainage. C’est justement la prise en considération du contexte qui émerge à la fin du XXe siècle, et qui se développe ensuite jusqu’à nos jours, qui permet à Maela Paul de nous faire mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’institutionnalisation de cette pratique jadis informelle. À cette fin, elle pointe du doigt la coïncidence de cette formalisation et de ce qu’elle désigne être la « fin des grands intégrateurs », c’est-à-dire la transformation du mandat des institutions sociales après la période de l’État-providence. Désormais elles appellent les individus à se prendre en charge d’abord eux-mêmes alors qu’auparavant nous considérions l’accès à solidarité collective comme un droit. Cela étant, la pratique d’accompagnement et d’incitation à faire des projets pourrait être vue comme une intervention qui ne viserait pas tant l’émancipation des personnes accompagnées que leur modelage aux dictats néo-libéraux de productivité et de consommation. L’auteur propose une autre voie pour l’accompagnement qui serait celle de transmettre le désir d’être sujet dans le social plutôt que d’y être assujetti.

Marie-Chantal Doucet est sociologue chercheure et professeure à l’École de travail social de l’UQÀM. Elle s’intéresse notamment à la condition de l’individu dans la société contemporaine. Dans son texte, elle traite des liens entre le contexte de la modernité avancée et la croissance d’un certain désarroi des individus quant à leur identité personnelle et sociale. Selon elle, le programme Sens et projet de vie s’inscrit résolument dans cette problématique typique de l’hypermodernité où se croisent les soucis d’être authentique, du rapport à l’autre et de l’expression de son unicité. Ces trois catégories de préoccupations seraient conséquentes des principes mêmes de la modernité dont on peut dire qu’elle s’est radicalisée depuis la fin du siècle dernier. Un détour par le Rousseau des Confessions et Du contrat social permet en effet de constater que ces questions sur la spécificité, la place, la contribution et la reconnaissance de l’individu dans la société se posent depuis l’entrée dans la modernité. Ce qui survient alors et se généralise depuis, c’est l’indétermination du destin

des individus. La désignation et la stabilité de ceux-ci avaient été jusque-là assurées par le seul fait de leur naissance dans un groupe social et en un lieu donné. Elles restaient habituellement les mêmes pour toute la vie. Dès lors ne se posaient guère plus la question de l’affiliation sociale, elle aussi garantie par l’appartenance à un état, celui de roturier, de noble ou de membre du clergé. Cette stabilité se rompt à l’époque de Rousseau pour laisser place à l’émergence d’un individu dont le destin ne sera plus complètement tracé par ses origines. Rappelons pour la petite histoire que Rousseau est en France un étranger, de plus il est autodidacte, fils d’artisan, sans titre, sans fortune ni ne bénéficiant du soutien d’un riche mécène. Néanmoins il échappe à cette condition pour devenir musicien puis écrivain et philosophe, des activités qui étaient ordinairement réservées

aux nobles. C’est un prototype de l’individu moderne qui, par lui-même, s’adapte et s’affilie à la société. Dans le contexte d’exacerbation de ces caractéristiques socio-culturelles, des groupes de parole se constituent en forme de lieux intermédiaires, entre le for intérieur et la société. Les individus s’y joignent en petits collectifs pour, un peu en retrait, penser leurs rapports à la société qui, précisément, ne sont plus donnés d’avance.

L’atelier des diplômés a confirmé la pertinence de ces remarques sur les nouveaux rôles des individus et les nouvelles formes des communautés. Ainsi Djamel Messikh, le plus ancien diplômé des trois panelistes (promotion 2006) se souvient s’être inscrit au Programme en pensant d’abord aux adaptations de carrière qu’il allait sans doute devoir faire alors qu’il abordait le mitan de sa vie. Sylvain Bélisle (promotion 2010) se présente plutôt comme un hypermoderne assumé. Il avait, se rappelle-t-il, envie de profiter pleinement de l’offre pléthorique de sens que lui offrait le monde. Il voyait dans le Programme l’occasion d’acquérir une formation qui lui permettrait d’orienter et d’organiser ses choix. Enfin Marie-Christine Boulanger (promotion 2013) s’y est intéressée parce qu’il lui permettrait éventuellement de se situer par rapport à un environnement social et politique avec lequel elle se sentait de plus en plus en décalage. À la fin de leur parcours académique, le projet réalisé par les étudiants n’est pas toujours celui qu’ils appréhendaient. Cela a été aussi observé dans la recherche de Rivière. Ainsi Djamel Messikh avoue n’avoir jamais réalisé le sien. Il n’en semble cependant aucunement déçu. Le bénéfice est ailleurs, son parcours lui a permis de mettre à jour ses valeurs, d’en découvrir les origines variées et de trouver une nouvelle « confiance envers l’autre » qui a « conforté, voire renforcé [sa] quête de sens ». Ce qui pourrait sembler n’être qu’un bilan en forme d’échelle des valeurs est plus profondément un travail sur le rapport à soi et à son environnement. On trouve ici les acquis d’un sentiment de congruence personnelle et de confiance à autrui qui donnent place non pas à un projet précis autant qu’à l’attitude et aux aptitudes pour en mener un. Ce serait en quelque sorte un projet permanent comme l’ont évoqué les conférenciers précédents. Cette idée se présente aussi dans les deux autres témoignages étudiants qui se terminent par des conclusions ouvertes qui relancent les auteurs vers le futur. Ce qui est assez conséquent car, comme l’observe Marie-Christine Boulanger, le sujet d’étude du Programme « c’est soi-même, cet être si près et pourtant si loin parfois ». En effet comme le veut la tradition freudienne, la recherche de connaissance de soi est un projet interminable car il se bute toujours aux conditions et à l’imaginaire de notre propre socialisation. En voulant nous libérer de cette détermination externe, nous luttons contre nous-mêmes ou pour le moins nous affrontons ce qui a tissé notre propre identité, nous a formé et nous a conféré notre statut social du moment. De là aussi l’idée du travail de groupe qui, faisant entrer en résonance les différents récits de ses membres, en font ressortir les facteurs sociaux, historiques ou culturels. Pour Sylvain Bélisle en particulier, il importe que soient maintenues dans le groupe des mises en place qui favorisent des rapports horizontaux. Ce serait une condition nécessaire d’ouverture des uns aux autres. Il s’agit de la création d’une zone sociale « franche » ou, dirait Doucet, en « périphérie des cercles sociaux quotidiens », c’est-à-dire à l’écart des rôles et des différences d’autorité qui ont cours habituellement dans nos rapports sociaux.

Les divers propos et les positions de ces diplômés autant que ceux de nos conférenciers offrent autant de perspectives sur la notion de communauté d’apprentissages. Avec Isabella Orellana la communauté d’apprentissage nous apparaît être une façon de réinscrire constamment les individus dans la société et particulièrement ceux qui autrement seraient laissés en marge. La voie de cette réaffiliation est la participation ou, pourrait-on dire à la manière de Doucet, leur expression. La communauté d’apprentissage, en effet, fait foi de l’engagement et de la créativité des collectifs et elle construit ou réinvente une socialité commune. De Bernard Rivière nous entendons aussi que la communauté d’apprentissage a un mandat d’affiliation mais cela suivant une perspective qui nous semble être plus intérieure, voire philosophique. L’individu qui s’y joint échappe à sa profonde solitude et y découvre que le sens de sa vie prend forme non pas comme une révélation intérieure mais par et dans le rapport à l’autre. Ce qui rejoint d’assez près les propos de Marie-Chantal Doucet et de Djamel Messikh relativement à la fonction des groupes de parole. Pour sa part, Maela Paul se situe un peu en aval de ces considérations, en s’intéressant au processus de liaison du sujet au social qui peut se réaliser par une pratique d’accompagnement. Celle-ci ne se présente cependant pas comme le veut la métaphore sportive du « coaching » qui, à notre oreille, trahit une préoccupation de performance ou de ce que Maela Paul nomme « l’activation » à l’encontre de ce qui devrait être d’abord une « transmission du désir ». Comme l’ont indiqué plusieurs intervenants, cet accompagnement devrait se situer un peu en retrait de l’action pour mieux la réfléchir. Accompagner, ce serait se positionner en équilibre « sur une ligne de crête » dit encore Maela Paul. Ni trop loin, ni trop près les uns des autres, les accompagnateurs et les accompagnés sont différents et inégaux de par leurs statuts, leurs connaissances ou leurs expériences. Cependant ils contribuent équitablement à ce projet commun de s’actualiser dans le monde. Ce qui nous ramène à une réflexion de Marie-Chantal Doucet qui voit dans ces communautés qui peuvent émerger du Programme l’analogue de pratiques d’éducation permanente qui, en matière d’identité, seraient rendues nécessaires par l’accélération et la multiplication des affiliations privées et professionnelles que nous tissons tous désormais tout au long de notre vie. Les communautés d’apprentissages issues du programme Sens et Projet de vie en seraient parmi d’autres possibles que, selon leur volonté, les diplômés pourraient investir pour mener à bien leurs projets

  1. 1. TÉLUQ, Université du Québec à Rimouski – UQAR et Université du Québec à Trois-Rivières – UQTR