par Yves Lecomte*
Qui l’aurait cru ? Alors que depuis les années soixante-dix, la « psychiatrie ne fait pas partie des problèmes de santé publique en Haïti, ce n’est pas une priorité de l’État1 », et que «Haïti ne prend pas en charge ses malades mentaux2 », voilà que « tout le monde fait de la santé mentale » depuis le 12 janvier 20103. De fait, selon certains, «Haïti est envahie par une faune bigarrée de « spécialistes en santé mentale » qui ne sont ni médecins, ni psychiatres, ni psychologues professionnels. La rumeur s’est répandue en Haïti, comme à l’étranger, qu’il y aurait beaucoup de fric à faire dans la santé mentale en Haïti… Beaucoup d’intéressés de l’étranger ne parlent ni français, ni créole4 ». Des mots sont devenus incontournables comme « appui psychosocial » dont tousse réclament. Soudainement, la santé mentale en Haïti est devenue un objet internationalement convoité.
Heureusement, à l’inverse de cet investissement d’affairistes qu’il faudrait dénoncer s’il s’avérait fondé, de nombreuses organisations internationales sont intervenues dans les camps et les hôpitaux et ont fourni une formation aux praticiens sur la santé mentale dans une
situation de désastre5. Un nombre incalculable de citoyens ont tenté avec des moyens dérisoires de sauver des décombres les personnes ensevelies, alors que d’autres ont improvisé par exemple des cliniques médicales avec leur pharmacie personnelle pour soigner et soulager leurs compatriotes. Selon une recension faite par le MHPSS WORKING GROUP-HAITI6, il y aurait une centaine d’ONG qui interviennent maintenant en santé mentale, soit 1 % des ONG actuellement actives7.
Dix-sept modalités d’intervention sont offertes : psychologiques comme le soutien psychologique individuel, de groupe, psychothérapie, etc., médicales (médication) et sociales : advocacy, appren- tissage d’habiletés vocationnelles, soutien social, etc.
À ces services s’ajoutent les services existants avant le séisme. Par exemple l’intervention sur les effets de la violence8, de la violence conjugale9 et de la violence envers les enfants10. De plus le centre URAMEL de Port-au-Prince est devenu officiellement un centre de psycho-trauma. De nouveaux services spécifiquement destinés aux personnes souffrant d’un état de stress post-traumatique se sont aussi ajoutés11.
Parallèlement à ces interventions sur le terrain, d’autres intervenants oeuvrent pour que la santé mentale devienne une véritable priorité, et que l’État haïtien mette en place les conditions politiques et socio-économiques qui favorisent la santé mentale de ses commettants
Le ministère de la Santé publique et des Populations a nommé une responsable de la santé mentale au sein du ministère. En association avec l’OPS-OMS, représentée par madame Abaakouk, le docteur Pierre-Louis a pour mandat d’élaborer une politique de santé mentale. La conceptualisation de cette politique est en cours et devrait être déposée à la mi-novembre, soit au terme du mois de la santé mentale en Haïti durant lequel de nombreuses activités de sensibilisation sont prévues.
Également, en relation avec le comité de la politique de santé mentale, une soixantaine de professionnels principalement américains et haïtiens, provenant de 26 associations, se sont réunis à Miami sous la direction du docteur Marie-Claude Rigaud, les 26-27 juin derniers. La conférence avait pour nom «Haïti Sommet de la santé mentale ». La conférence s’est terminée par l’énonciation de 7 recommandations à court terme et 3 à long terme.
Recommandations
À court terme
À long terme
Enfin un groupe de travail (task force) de 19 professionnels (10 des États-Unis, 8 d’Haïti et 1 du Canada) (dont les deux responsables de l’élaboration de la politique de santé mentale) a été créé pour superviser l’implantation de services coordonnés et la formation à Haïti et dans la diaspora.
Comme on peut le constater, le séisme est devenu une onde sismique en santé mentale. D’un champ d’intervention complètement négligé par l’État, il est devenu une priorité nationale en santé. Il faut espérer que les efforts actuels puissent se maintenir mais surtout qu’ils conduisent à l’implantation de véritables soins en santé mentale à la population haïtienne. Le peuple haïtien a souvent été déçu. Il ne faudrait pas qu’il le soit une autre fois.
* Ph.D., professeur et responsable du DESS en santé mentale, Téluq (UQÀM).